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"Le Premier Livre de Clavecin" (1713)

de François Couperin (1668-1733)

  C'est avant tout son œuvre pour le clavecin qui l'a rendu célèbre, et le fait considérer, avec Rameau, comme le grand maître de cet instrument en France.
    Son traité "L'Art de toucher le clavecin" (1716) est une source précieuse concernant son enseignement et l'interprétation de la musique au XVIIIème siècle.


Le maître et ses élèves : au-delà de l'art du portrait
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    Lorsque François Couperin obtient, en 1693 (il a 25 ans), la charge d'organiste de la Chapelle royale, succédant à son ancien maître Thomelin, il va remplir aussi le rôle de maître de musique à la cour de Versailles. Il aura pour élèves Monseigneur le Dauphin, ainsi que plusieurs princes et princesses de la Maison Royale, comme la princesse de Conti (fille de Mme de La Vallière), le comte de Toulouse (fils de Mme de Montespan*), Marie Leczinska (la future reine de France), pour ne citer que le dessus du panier.

    Tous ces hauts personnages, à la fois élèves et protecteurs, deviennent une source d'inspiration pour le compositeur. Ils sont, écrira-t-il, les "aimables originaux" dont il brosse des "espèces de portraits" dans ses pièces de clavecin ; ainsi, le "Premier Livre"* s'ouvre sur L'Auguste, une Allemande en l'honneur de Louis XIV, et présente aussi les "portraits" des deux filles du duc de Bourbon : La Bourbonnoise et La Charoloise.

    S'il a pu honorer certains Grands d'un portrait musical, Couperin ne fait pas toujours référence à un individu réel ; il peut décrire un trait de caractère, s'inspirer de personnages peints ou de portraits littéraires (ces ouvrages en vers ou en proses sont au goût du jour). Ainsi le titre L'Enchanteresse (vidéo 0:29:47) peut faire allusion au tableau de Watteau "L'Enchanteur", mais aussi évoquer une figure de l'entourage du compositeur… ou tout simplement signaler le caractère de la pièce, comment la jouer, de façon "enchanteresse", afin de créer un effet "enchanteur" sur l'auditoire ; car ses titres servent autant à décrire une personne qu'à caractériser sa musique afin de guider l'interprète.

    Au-delà du portrait d'un personnage ou d'un type, qui peut se cacher, par exemple, derrière la façon de se coiffer avec une espèce de laque appellée La Bandoline, ces "pièces de caractère" déplient un éventail de sons et sensations, qui vont de l'envolée légère des Papillons jusqu'à la sonnerie insistante du Réveil-matin… Elles peuvent aussi évoquer des lieux que le musicien a aimés : par exemple, Les Plaisirs de St Germain en Laÿe, où il a vécu six ans à partir de 1710, proche de la cour des Stuarts (ces monarques anglais en exil, férus de musique italienne, chez qui il a découvert les sonates de Corelli). Plus généralement, une simple idée peut lui inspirer sa musique ; parmi Les Idées Heureuses, le seul fait de composer sur son instrument de prédilection n'est-elle pas l'idée même du bonheur pour tout musicien ?

Le Couperin des Lumières : des pièces de caractère, en ordres et avec agrémens
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    La mort de Louis XIV en 1715 marque la fin du XVIIème siècle, en même temps qu'elle clôt une période dans la carrière du compositeur. Surnommé Couperin "le Grand", ce compositeur du Grand Siècle qui se consacrait plus aux œuvres religieuses qu'aux œuvres profanes, cède la place au Couperin des Lumières, qui se concentre dès lors sur la musique instrumentale.

    Bien que publié deux ans avant le décès du roi Soleil, en 1713 (il a 45 ans), le "Premier Livre" inaugure une nouvelle manière pour le clavecin. Aux traditionnelles "Suites" de danses, le compositeur préfère les "Ordres"  parce qu'il veut créer un langage artistique national. En effet, au début du XVIIIème siècle, la suite de danses, genre français à l'origine, a été adoptée par toute l'Europe, perdant ainsi son identité nationale. Avec son "Premier Livre", Couperin cherche à inventer une suite plus française, qui ajoute aux danses des "pièces de caractère" portant un titre précis et évocateur.

    François Couperin doit sa renommée à ses œuvres pour clavecin, classées en 27 ordres, subdivisés en 4 livres, portant chacune un titre évocateur, sauf dans son "Premier Livre" où il conserve les traditionnelles suites de danses, qu'il désigne sous le nom d'"ordre". Le "Premier Livre" compte cinq ordres. Si les pièces sont groupées, comme dans la suite classique, par tonalités, et si une place est toujours réservée aux danses traditionnelles, le nombre des pièces peut varier largement (18 dans le 1er ordre en sol, 4 dans le 4ème ordre en fa) et Couperin y introduit des "pièces de caractère", derrière lesquelles se cachent parfois des rythmes de danses, à moins qu'il n'en fasse l'aveu ouvertement : La Lugubre, Sarabande.

    Le raffinement des titres et la justesse des indications d'interprétation révèlent un sens du verbe fort peu commun chez un musicien. Couperin utilise comme force rhétorique les agréments pour souligner l'importance de certains passages de sa mélodie. À l'instar de ses prédécesseurs, il établit une table des "agrémens", qui explique à l'interprète comment ils doivent être joués. Le "Premier Livre" se termine d'ailleurs par une Explication des agrémens, et des Signes et contient même une pièce intitulée Les Agrémens, qui les expose tous (surtout les petites notes des ports de voix) : c'est dire l'importance qu'il leur accorde dans l'expression de sa musique !

    Dans ce "Premier Livre", riche d'influences et d'innovations, le musicien réunit deux goûts, celui du XVIIème siècle pour les danses et celui du XVIIIème pour les portraits.

Conclusion

    Étalée sur presque 40 ans de vie à la cour, son œuvre pour clavecin représente l'équivalent des Mémoires de Saint-Simon ou des Caractères de La Bruyère : une mise en scène subjective, partiale, de Versailles et de ses acteurs. Et, sous les titres, parfois surprenant, de ses pièces de "caractère", se cache encore la voix du maître, un homme plein d'idées à exprimer, qui continue à nous donner des conseils d'interprétation par-delà les siècles !

* Sa collection de partitions, supervisée par André Danican Philidor l'Aîné, regroupe une centaine de volumes, surtout des manuscrits, et constitue aujourd'hui l'unique source pour douze des motets de François Couperin, son cher maître auquel il restera fidèle, lui versant une pension jusqu'à sa mort.
* Dans les Livres suivants, citons La Ménetou (pour Françoise Charlotte de Seneterre), La Princesse Marie (pour Marie Leczinska), Les Graces Incomparables ou La Conti (pour la première Mademoiselle de Blois).



    •    1er ordre (en sol) : Allemande l'Auguste ; Première Courante ; Seconde Courante ; Sarabande la Majestueuse ; Gavote ; La Milordine, Gigue ; Menuet (et Double) ; Les Silvains ; Les Abeilles ; La Nanète ; Les Sentimens, Sarabande ; La Pastorèle ; Les Nonètes (Les Blondes, Les Brunes) ; La Bourbonnoise, Gavote ; La Manon ; L'Enchanteresse ; La Fleurie, ou la tendre Nanette ; Les Plaisirs de Saint Germain en Laÿe
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    •    2e ordre (en ré) : Allemande la Laborieuse ; Premiere Courante ; Seconde Courante ; Sarabande la Prude ; L'Antonine ; Gavote ; Menuet ; Canaries (avec Double) ; Passepied ; Rigaudon ; La Charoloise ; La Diane ; Fanfare pour la Suite de la Diane ; La Terpsicore ; La Florentine ; La Garnier ; La Babet ; Les Idées Heureuses ; La Mimi ; La Diligente ; La Flateuse ; La Voluptueuse ; Les Papillons
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    •    3e ordre (en ut) : La Ténébreuse, Allemande ; Premiere courante ; Seconde courante ; La Lugubre, Sarabande ; Gavotte ; Menuet ; Les Pélerines ; Les Laurentines ; L'Espagnolète ; Les Regrets ; Les Matelotes Provençales ; La Favorite, Chaconne ; La Lutine
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    •    4e ordre (en fa) : La Marche des Gris-vêtus ; Les Baccanales ; La Pateline ; Le Réveil-matin
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    •    5e ordre (en la) : La Logiviére, Allemande ; Premier Courante ; Seconde Courante ; La Dangereuse, Sarabande ; Gigue ; La Tendre Fanchon ; La Badine ; La Bandoline ; La Flore ; L'Angélique ; La Villers ; Les Vendangeuses ; Les Agrémens ; Les Ondes
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Ecrit par Florence le Dimanche 17 Novembre 2013, 00:49 dans "Biographies , formes" Version imprimable

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